La qualité en traduction

Tout au long de ma carrière dans l’industrie des langues, j’ai toujours entendu parler de qualité. Telle agence s’engage à fournir la « meilleure qualité », tel client se plaint de la « mauvaise qualité » du texte traduit… Mais la qualité en traduction, c’est quoi au juste ?

Avec une telle question, la première réponse qui vient à l’esprit c’est : une traduction de qualité est une traduction qui respecte le texte source. C’est super ! Difficile d’être en désaccord… quoiqu’on puisse discuter de l’approche sourciste… mais on n’avance pas beaucoup. C’est un peu le serpent qui se mord la queue et la question de la qualité, ou plutôt, de ce qu’est une bonne traduction, demeure.

Les théories de la traduction

Les diverses théories de la traduction tentent depuis longtemps de répondre à cette interrogation, mais elles partent dans des voies différentes sans établir de vérité absolue tout en apportant chacune leur pierre à l’édifice.

L’école de Tel-Aviv :

L’école de Tel-Aviv est une approche sociologique de la traduction et elle nous dit que c’est le cadre social qui définit ce qui est traduisible et ce qui ne l’est pas. Si je ne peux nier que le cadre socioculturel du traducteur a une importance considérable (cela influence grandement ses spécialités, son vocabulaire, son style…), l’idée même de définir des éléments comme intraduisibles me rebute. Cela pose également un gros problème de qualité face à ce type d’éléments : la non-traduction, l’omission…

Le courant interprétatif

C’est la fameuse théorie du sens. Elle implique que le sens véhiculé prime. La langue n’a qu’un rôle de transport de l’idée et la lettre peut donc même être un frein à la communication. Si de manière parfaitement théorique je suis assez d’accord avec cette affirmation, il n’en demeure pas moins que le mot ne peut pas être oublié. La lettre est parfois plus qu’importante : après tout, les clients ne nous donnent pas des glossaires pour notre bon plaisir. Mis à part pour quelques néologismes et acronymes, on sait normalement chercher dans un dictionnaire et trouver ce dont on a besoin. Mais essayer de traduire un slogan ou un poème avec simplement l’idée et sans les mots revient à trahir le texte source. Et non : traduire, ce n’est pas trahir !

l’approche herméneutique

Basée sur les travaux de Georges Steiner, cette approche considère la traduction comme un art exact et non comme une science. Cette approche se focalise sur le « vouloir dire » de l’auteur, chose que le traducteur doit restituer. Elle garde donc en tête que l’idée prime, mais n’en écarte pas le mot. Par contre en se focalisant sur le « vouloir dire » elle peut inclure un biais puisque le traducteur se livre alors à une interprétation des pensées de l’auteur avec les risques de sur traduction que cela peut engendrer.

L’approche linguistique

C’est la théorie qui nous dit que tout texte doit être considéré sous l’angle des unités fondamentales que sont le mot, le syntagme et la phrase. On ne peut pas nier cette vérité, nos outils de TAO nous poussent à considérer le mot (par les glossaires et comme mesure de volume) et la phrase (les segments) comme à la base de notre travail. Mais en adoptant pleinement cette approche, c’est là aussi très problématique : que deviennent le contexte et les sous-entendus ? Quels synonymes utiliser, dans quels cas ? Si une transposition des mots suffisait, la traduction automatique ne serait plus un problème et les approches statistiques s’en sortiraient très bien. Les moteurs modernes, s’appuyant sur les réseaux neuronaux et le Deep Learning, s’appliquent d’ailleurs maintenant à mettre en œuvre des analyses des sentiments pour améliorer la traduction, mais cela ne peut être vu au détour d’une unité minimale comme le mot.

L’approche littéraire

Cette approche fait du traducteur un auteur. La traduction n’étant plus une opération linguistique, mais bien une opération artistique littéraire. Les mots sont ici chargés d’une énergie et c’est celle-ci que le traducteur doit restituer. Si cela est assez vrai pour les textes rédactionnels et littéraires, on va avoir du mal à adapter cette idée dans un contexte technique ou juridique. Cette approche ne nous fournit, de toute façon, que peu de pistes pour assurer une qualité idéale et semble plutôt s’appuyer sur une sorte d’instinct et d’inspiration qui sont certes très présents dans la réalité, mais qui ne peuvent rentrer dans des processus qualité.

L’approche sémiotique

Dans cette approche, trois éléments doivent se rencontrer : un signe, un objet, un interprétant. C’est donc plus où moins un condensé des autres approches : le signe étant le mot, l’objet : le sens véhiculé et l’interprétant étant le traducteur avec son prisme d’adaptation culturelle. Vous l’avez compris, je penche plutôt en faveur de cette théorie, bien que les autres ne soient pas à jeter et que celle-ci soit, elle aussi, incomplète et ne résolve toujours pas notre problème de qualité.

L’approche commerciale

Ne cherchez pas de référence bibliographique, cette approche n’a rien d’académique, elle sort de mon imagination, ou plutôt de mon expérience. Pourquoi ? Simplement, car nous parlons de traduction professionnelle et que dans ce contexte le seul élément qui compte finalement (finances mises à part), c’est la satisfaction du client. Donc je le dis haut et fort : une traduction de qualité, c’est une traduction qui convient à son client !

Si toutes les approches définies plus haut ont leurs éléments positifs et négatifs, on constate que le destinataire y est généralement oublié et, comme pour tout produit ou service, c’est pourtant lui qui compte. Il s’agit donc d’adapter la traduction à la demande du client pour que celle-ci soit considérée comme étant de qualité. C’est évident, mais on a souvent tendance à l’oublier. Tous les clients ne veulent pas la même chose, il n’y a donc pas une qualité mais des qualités, la seule valable et bonne étant celle attendue par le client à un instant T.

Celui qui veut simplement comprendre le document, celui qui veut l’adapter, celui qui désire le restituer simplement ou avec exactitude en employant le vocabulaire de la marque pour laquelle il travaille… ceux-ci peuvent tous partir du même texte, mais ils ont des attentes très différentes. Dans chacun des cas, une traduction différente pourra être produite et jugée comme bonne et de qualité, car répondant aux attentes du client.

C’est la raison pour laquelle j’insiste sur la nécessité d’avoir le maximum d’éléments notamment de contexte et d’utilisation de la traduction pour établir une proposition. Mon but étant simplement de fournir la qualité la plus adaptée.

Pour vous, c’est quoi une traduction de qualité ?


Photo mise en avant de Brodie Vissers trouvée sur Burst

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